Dans un monde de surconsommation pollué et menacé par le pessimisme climatique, bon nombre d’entre nous se sent vulnérable en ville et recherche une alternative à la vie urbaine. Le retour à une connexion avec un environnement naturel se fait sentir dans une optique écoresponsable et d’amélioration de son cadre de vie. L’exode urbain n’est ni nouveau, ni récent, mais les rapports à la ville changent, le confinement est passé par là avec son corollaire d’inconvénients – télétravail, rupture des relations sociales, isolement, frustrations culturelles – accélérant des désirs de mise au vert, de retour à la nature, de besoins urgents d’entre-aide et de solidarité. Effet de mode, fantasme ou véritable aspiration écologique et sociale ? Entre les néoruraux, dont le cœur balance entre ville et campagne, ceux qui aspirent à une vie minimaliste entourés de verdure, et les néo-autonomistes, qui sont ceux qui sont prêts à oser quitter la ville et changer de modèle de vie ? Quelles sont leurs motivations, quelles réflexions animent leur projet de vie en milieu rural ? Chahutés par les grands bouleversements écologiques, sociaux et économiques, les individus sont à l’heure du questionnement de leur vie dans les grandes villes et à un retour à l’essentiel.
Une vie urbaine moins attrayante
Un cadre de vie coûteux et polluant
Depuis quelques décennies, le besoin de s’éloigner de la ville se fait sentir et la prise de conscience de ses travers s’accentue depuis les années 2000. Les urbains ressentent un manque d’espace, un coût croissant des tarifs immobiliers des locations ou des ventes. Les centres urbains sont saturés de bruits, de stress et de pollution et le temps se rétrécit pour profiter de sa vie privée. Tout un chacun tend vers l’amélioration de son cadre de vie à un moindre coût financier, mental et écologique. La consommation d’énergie quotidienne dans nos activités économiques et résidentielles engendre une pollution que l’on n’ignore plus : chauffage, réfrigération, appareils électriques, consommation de carburant. La construction et son cortège de transport de matériaux est responsable de 11 % des effets de serre dans le monde selon Sammy Pauwels dans son mémoire de fin d’études : L’exode urbain et les enjeux de la redécouverte du milieu rural . De même, l’urbanisation des sols oblige à exploiter sans fin des terres plus lointaines pour l’agriculture. Ainsi, la dépense énergétique pour transporter les ressources alimentaires est-elle responsable de 40 % d’émissions de gaz à effet de serre lors des trajets producteurs/ magasins/domicile expose Sammy Pauwels. Et ce malgré le choix de circuits courts et des mobilités douces pour l’environnement.
Des cités insuffisamment vertes ?
La population urbaine ne manque pas de verdure : de nombreux projets émergent pour faire respirer la ville et ses habitants. Ainsi voit-on fleurir des forêts verticales, des potagers de toitures, des murs végétalisés. Conscientes des problématiques environnementales et sociales de la ville, les dirigeants s’intéressent de plus en plus aux qualités majeures des espaces verts en milieu urbain :
- bien-être physique et mental accompagné d’une baisse des troubles anxieux et dépressifs ;
- baisse du taux de cortisol (hormone du stress) ;
- diminution de la tension artérielle ;
- fréquence des maladies moins importantes et baisse des frais médicaux ;
- moins de surcharge dans les secteurs des soins ;
- augmentation de la productivité ;
- et la plus importante, l’absorption du CO2 et la production d’oxygène.
Les usagers des villes profitent avec conviction des bienfaits qu’apporte la nature dans ces points de verdure protégés. Sa capacité à assainir l’air chargé de particules nocives en air frais, à atténuer les bruits invasifs laisse en lieu et place une ambiance sonore plus apaisée et respirable. Les espaces végétalisés luttent contre les vagues de chaleur et diminue le besoin en énergie pour climatiser les villes. La végétation procure ombrage, limite la surchauffe des surfaces bétonnées par son évaporation et joue son rôle de climatiseur naturel. Mais la densité des villes rend ses défauts plus remarquables malgré des efforts d’amélioration de leur cadre de vie. Le changement climatique global mesuré depuis les années 70 explose avec désormais des scénarios catastrophiques à l’aube des années 2050.
Les motivations qui font oser quitter la ville
Une réflexion pour un autre modèle d’habiter
L’exode semble être la seule solution envisageable face aux problématiques de la ville et environnementales. Beaucoup de citadins ont développé des convictions fortes écoresponsables face à une volonté politique pas toujours motivée. Mais l’émigration urbaine reste un luxe impliquant un investissement individuel plus ou moins conséquent. Il suppose une réflexion sur les compromis inévitables en termes de bien-être, de confort, de manque d’espace, d’éloignement des centres, de dépendance à une mobilité pour travailler versus l’abandon de tout ce que fournit la ville : offre culturelle, études, emplois, réseau social et proximité d’un grand nombre de commodités (infrastructure sportive, loisirs, restauration, santé…).
Les effets de la crise sanitaire sur les citadins
Derrière l’appel de la campagne, l’envie de vivre mieux se fait jour. Avec la crise sanitaire, la ville s’est vue privée de ses atouts et a révélé davantage ses inconvénients. Le modèle urbain est remis en cause dans un éveil collectif des consciences. La pandémie a généralisé le télétravail et accéléré la dématérialisation des activités et des citadins ont cherché du travail ailleurs ou un logement moins cher. La convivialité a disparu de notre environnement, les accès aux parcs et autres îlots de nature urbaine rationnés et la campagne rendue inaccessible. Privés de culture et de relations, il n’en fallait pas plus pour se tourner vers des horizons élémentaires dont l’écologie, la solidarité opposés au modèle urbain de surconsommation. L’urgence à retrouver l’essentiel perdu en ville a fait son chemin. De là à oser quitter la ville, il n’y a qu’une barrière à franchir pour vivre un autre modèle d’habiter et de consommer.



Les adeptes de la ruralité
Selon l’Insee, 100 000 citadins décident chaque année de franchir le pas pour se mettre au vert. Selon un sondage de l’association Familles Rurales d’octobre 2018, l’immense majorité des Français envie le cadre de vie idéal offert par la campagne : 43% souhaiteraient résider en zone rurale et travailler en ville, quand 38% indiquent vouloir vivre et travailler à la campagne. Avec la crise sanitaire, l’économie de temps et de trajet avec le développement du télétravail a permis d’envisager un départ des villes vers les campagnes. D’autant que le confinement a changé le rapport à l’habitation mais aussi celui à la vie quotidienne et aux rapports sociaux. Mais qui sont ceux qui ont vraiment osé quitter la vie citadine et pour quel modèle ?
Une vie minimaliste dans la verdure
Le coût des logements reste élevé en milieu urbain, il limite l’accès à des domiciles plus grands que l’on trouve plus aisément en campagne à des tarifs moindres. Mais certains néoruraux, notamment des familles avec jeunes enfants, préfèrent adopter une vie minimaliste en faisant le choix d’une petite maison. La Tiny House attire de plus en plus d’adeptes soucieux d’améliorer leur cadre de vie à un coût moindre tout en protégeant l’environnement en achetant moins et de façon plus réfléchie. Ces derniers recherchent avant tout un retour à l’essentiel et une rupture avec le consumérisme débridé. Le tout au sein de la nature plus apaisante et avantageuse que la ville : espaces pour les enfants, air plus sain, postes budgétaires repensés sur des activités plus que sur du matériel. Le désencombrement des lieux et de l’esprit augmente la qualité de vie et les économies. L’approche du minimalisme appliqué en campagne s’étend également à la qualité des relations sociales ; à la ville, tout devient trop : les emplois du temps surchargés, le temps passés dans les transports, le manque de temps pour soi et les autres incitent à tisser des contacts plus sains et pérennes. En milieu rural, on fréquente tous les mêmes lieux publics polyvalents, les mêmes endroits pour faire ses courses où les rencontres répétées deviennent un moyen de créer du lien loin des relations ponctuelles et artificielles citadines.
Une vie collective et collaboratrice loin des villes
Ceux qui quittent les inconvénients urbains le font aussi dans le but de valoriser et de restaurer un bâti ancien existant dans les villages. Leur motivation est tournée sur la conservation du patrimoine dans des projets d’habitat partagé moins cher et plus accessible destiné à des collectivités. L’énergie employée à la restauration de ces bâtiments est moins coûteuse, la surface des sols arables conservée et l’impact environnemental minimisé. Ces ambitions se veulent également solidaires et fortement tournées sur les liens sociaux. Ainsi, beaucoup de jeunes couples attirés par des loyers modérés dynamisent les activités socio-économiques et culturelles dans ces habitats partagés avec l’intégration des séniors pour lutter contre la solitude. Les échanges intergénérationnels et l’entraide se développent autour d’interactions entre jeunes et moins jeunes.
Ces projets de communauté solidaires et intergénérationnels valorisent les campagnes oubliées. Les habitats regroupés se construisent autour d’espaces naturels communs, de logements privatifs, d’espaces dédiés au activités professionnelles d’autant que le réseau internet couvrant de nouveaux territoires facilite le télétravail. Ces lieux collaboratifs sont souvent pourvus de terrains pour pouvoir les cultiver. Ces modèles de vie alternatifs sont basés sur des valeurs écologiques, le travail collectif, le partage, la communication. Les personnes embrassant ce choix ont des profils variés, célibataires, familles, couples, séniors qui participent activement à la reconstruction et au développement du lieu, le bien étant acquis en communauté. La culture du travail y prend un autre sens avec la nature environnante : jardinage écologique, activités artisanales, promotion de produits locaux, rétablissement des commerces de proximité, espaces de coworking avec le lien numérique avec la ville et le reste du monde. Ce genre de communauté ne vit pas en autarcie totale, elle reste ouverte et intégrée à la population existante.
Partir pour vivre et travailler en milieu rural
Ces néoruraux quittent la ville pour vivre et travailler en campagne en s’intégrant à une structure villageoise existante et en créant du lien social. Ils se focalisent sur un épanouissement personnel et familial éloigné d’une réussite basée sur un statut social élevé et aisé financièrement. Ils recherchent du sens dans une vie tournée sur la redécouverte de soi, le refus d’un modèle urbain consumériste. L’intérêt se porte sur l’environnement avec qui on souhaite vivre de manière plus respectueuse accompagné d’un projet professionnel en accord avec ces principes. Claire Demares-Poirier expose dans son ouvrage « L’exode urbain », des exemples en Belgique ou en Allemagne de fermes de production biologique avec un café librairie pour goûter les produits issus des exploitations bio locales et tisser du réseau social.
De citadin à néo-autonomiste
Ces adeptes de la vie en osmose avec la nature ont pour objectif le zéro déchet avec une autonomie relative afin de se détacher de la consommation actuelle. L’idée est de faire mieux avec moins pour approcher un modèle plus durable. La philosophie autonomiste est basée essentiellement sur la protection de l’environnement avec l’accélération alarmiste du réchauffement climatique. Elle fonctionne sur une autogestion en consommation d’eau, en production d’énergie, et en alimentation. Ainsi, les néo-autonomistes apprennent les rudiments des réseaux d’eau, du photovoltaïque, et de la permaculture. Il s’agit d’un retour à un modèle de vie ancien appuyé sur les connaissances du monde moderne et un certain confort. Il ne s’agit pas là de s’improviser Robinson. Il s’agit d’une solution qui semble plus adaptée à l’avenir qui se présente mais qui nécessite une forme de renoncement à ce qui semble être à portée de mains en ville. Elle demande aussi un réel effort physique pour s’installer et entretenir son environnement, effort souvent récompensé par les bénéfices retirés : calme, quiétude, paysage, alimentation saine et pollution raréfiée. L’autonomiste implique la nécessité de s’informer, de se former, de créer du lien et des contacts avec les locaux pour échanger et s’entraider, économiser pour l’achat d’un terrain. L’autonomiste est ou devient polyvalent couteau-suisse : il redécouvre les espèces botaniques, les fruits et légumes oubliés, étudie la nature des sols et les conditions climatiques, s’intéresse aux méthodes naturelles de jardinage restaure des outils anciens chinés bien plus solides que ceux fournis par une industrie de piètre qualité. Les savoirs anciens oubliés et ignorés en ville refont surface. Ils permettent de s’autosatisfaire avec des produits de grande qualité et bien plus diversifiés que les produits des grandes surfaces uniformes et sans saveur ne respectant qu’une logique, celle de vendre des aliments dénaturés et pollués à tout crin, sans saisonnalité. Le néo-autonomiste est féru de low-tech où seules des technologies utiles, durables et accessibles à tous sont utilisées. Le recours aux basses technologies peu onéreuses et écologiques répond ainsi à des besoins essentiels : l’énergie, l’alimentaire, l’accès à l’eau, l’habitat. Ainsi s’éloigne-t-on de l’obsolescence programmée pour revenir au nécessaire de façon sobre en énergie et respectueuse de l’environnement. Il est toujours possible de faire soi-même, de récupérer, recycler pour réutiliser des matériaux usuels. La démarche néo-autonomiste peut aussi impliquer des individus en communauté dans des problématiques locales en particulier dans des formes d’agriculture visant à créer des écosystèmes respectant la biodiversité.
Les vrai-faux néoruraux nés du confinement
Oser quitter la ville ne s’improvise pas et nécessite des renoncements auxquels tous les envieux ne sont pas prêts. Ceux qui s’installent en campagne tout en continuant de travailler et consommer en ville ne sont que des citadins fatigués qui cherchent refuge dans la verdure appréciée le week-end. Ceux-là même dont l’impact carbone est important du fait de leur besoin croissant de déplacement. Nombreux sont ceux qui, découragés par les inconvénients de la campagne – éloignement des centres, manque de choix culturels, offre sportive et de santé, études, entretien des espaces verts privés – ne franchissent pas le pas. De même, le confinement n’a été qu’une parenthèse spirituelle pour des privilégiés pouvant télétravailler en s’expatriant dans des résidences secondaires. Peut-être cet exode urbain temporaire a-t-il fait réfléchir sur le désastre environnemental et sur un nouveau modèle de vie, d’habiter et de consommer. Mais la pandémie n’a pas eu raison des mécanismes sociaux bien huilés et de l’attractivité des villes. L’exil idyllique n’existe pas d’autant que les moyens et le simple fait d’un travail non dématérialisable ne permettent pas le bouleversement total de nos façons de vivre.
Force est de croire que l’exode urbain est affaire d’individu et de la manière dont il se questionne sur sa façon de vivre. Il s’agit d’un choix adapté à son épanouissement et porté par des convictions écologiques et sociales. Oser quitter la ville ne suppose pas de transposer un modèle urbain en milieu rural ce qui serait catastrophique et contre-productif pour les populations des campagnes. Il s’agit bien d’une conjoncture entre l’amélioration du cadre de vie et la mise en valeur respectueuse des territoires ruraux pour tous ses habitants. Il n’en reste pas moins que vivre en campagne reste une échappatoire, une solution viable pour des individus capables de réaliser des projets bien pensés. Il faut espérer que ces projets de modèles alternatifs de vie rurale servent de base à la réflexion des décideurs en respectant les territoires ruraux qui ne sont pas à considérer comme des exutoires de citadins en mal de détente et de loisirs verts.
Sources :
Mémoire d’études : https://matheo.uliege.be/bitstream/2268.2/12500/4/TFE_PAUWELS_Sammy_L%27exode%20urbain%20et%20les%20enjeux%20de%20la%20red%C3%A9couverte%20du%20milieu%20rural.pdf
Quitter la ville, est-ce si facile : https://www.franceinter.fr/emissions/le-telephone-sonne/le-telephone-sonne-17-septembre-2020
Une envie de vivre mieux : https://www.lesechos.fr/thema/quitter-paris-2021/derriere-le-desir-de-quitter-la-ville-une-envie-de-vivre-mieux-1316526
Quitter la ville pour la campagne : https://blog.cooloc.com/temoignages/quitter-la-ville-pour-la-campagne-realite/
Néo-autonomiste : https://www.wedemain.fr/ralentir/le-neo-autonomiste-brian-ejarque-livre-ses-conseils-pour-oser-quitter-la-ville/
Va-t-on vers un exode urbain ? https://www.franceculture.fr/emissions/le-temps-du-debat/va-t-vers-un-exode-urbain
Quitter la ville en période d’épidémie : https://reporterre.net/Quitter-la-ville-en-periode-d-epidemie-un-privilege-de-classe
L’exode urbain a commencé : https://www.transitionsenergies.com/exode-urbain/
Va-ton élever des chèvres ? https://www.ouest-france.fr/societe/exode-urbain-va-t-on-tous-quitter-les-villes-pour-elever-des-chevres-a-la-campagne-6913497
Vivre à la campagne : https://usbeketrica.com/fr/article/vivre-a-la-campagne-c-est-sortir-d-un-systeme-qui-n-est-bon-pour-personne
Les villages prennent leur revanche ? https://journals.openedition.org/eps/10236#quotationLe malaise vis-à-vis des grandes villes : https://usbeketrica.com/fr/article/le-malaise-vis-a-vis-des-grandes-villes-est-grandissant